mercredi 19 novembre 2008

Quand le bibliothécaire se prend pour un jardinier

"Chacun le voit bien chez soi : on a du mal à jeter un livre à la poubelle. Cela ne se fait pas. J'ai vécu des résistances lorsque j'essayai avec quelques collègues d'introduire en France la pratique du "désherbage", très courante chez les Anglo-Saxons, où la familiarité du livre n'inspire pas les mêmes craintes. Le désherbage consiste à éliminer du fonds d'une bibliothèque les ouvrages obsolètes, inutiles ou délabrés. Il était admis en France qu'un livre entré dans le fonds n'en sortait jamais, comme les objets d'art dans les musées : ainsi les bibliothèques de lecture publique conservaient-elles des manuels d'informatique dépassés, des livres de médecine trompeurs et les Guides bleus dans leurs éditions anciennes. De toute évidence, ces ouvrages devaient être conservés dans des bibliothèques spécialisées pour les recherches historiques, mais ne faisaient que fourvoyer le lecteur de bibliothèques généralistes. L'accumulation prévalait sur la pertinence comme si chaque exemplaire devait être conservé en souvenir. Mais en souvenir de quoi ? Du livre sacré, sans doute, porteur d'une vérité éternelle."

Michel Melot.

Il y a un an, mon chef de service m'a demandé d'écrire un article dans la gazette interne sur les travaux de désherbage menés dans la salle de lecture. J'ai essayé d'y apporter un peu de légèreté tout en démontrant la méthode de travail et le sérieux de l'affaire qui n'avait pas été mené depuis la création de la bibliothèque.

Résultat ? J'en ai pris pour mon grade par un bibliothécaire aujourd'hui parti à la retraite qui a trouvé cet article insultant. J'ai été saisie par la violence des propos prouvant une fois de plus le choc qu'il peut y avoir entre les générations.

Moralité : je ne commets plus d'articles dans cette gazette (du moins pour le moment). Mon sentiment que nous n'avons pas tous, bibliothécaires, la même culture professionnelle et le même langage professionnel est renforcé. Pour les maçons, il y a sans doute plusieurs possibilités de monter un mur suivant le matériau utilisé mais au bout du compte ce mur est monté. Pour les bibliothécaires, c'est souvent l'inverse, on peut ou on peut pas et ça déchaîne les passions...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai le souvenir cuisant d'une agression verbale particulièrement âcre d'une ancienne conservateure en chef de ma bibliothèque qui m'avait demandé publiquement : "Y a-t-il encore des livres dans votre bibliothèque ?"
Cela remonte à quelques mois - mais elle est à la retraite depuis 10 ans. De son temps, on CONSERVAIT, un point c'est tout.

Il y a quelque chose d'un peu freudien dans cette insistance à tout garder, non ? ;-)

Yvonnic a dit…

Difficile de se prononcer quand on n'a pas vu l'article, mais bon, on peut quand même se demander s'il était si gentillet que ça pour susciter les déchainements que vous dites. Ceci dit, je trouve qu'il y a dans votre billet et dans le commentaire de Nadine, une certaine complaisance à en faire une question générationnelle et à stigmatiser des "vieux ou vieilles" bibliothécaires partis en retraite. Ils avaient les conceptions de leur temps, un point c'est tout, et on peut difficilement leur reprocher, non ? Par ailleurs, il n'y a pas à chercher si loin pour trouver des débats passionnés et passionnels sur le sujet, et entre "jeunes" bibliothécaires (voir sur Biblio-fr en septembre 2007 et sur le blog de D. Lahary en janvier 2008 "Désherbage, partage et conservation"). Tout le monde est d'accord pour dire qu'il faut désherber, mais pas dans quelle quantité ni periodicité. Et nombreux sont les collègues qui allient discrêtement désherbage et "réserve active". La question n'est donc pas si simple qu'il n'y parait, les tabous sont encore nombreux, et le sujet parait encore très actuel, quel que soit l'âge des participants. Facile (et obligatoire) de prendre une position "politiquement correcte" et normée par la profession, mais la pratique semble être le règne de la plus grande diversité...Comme on dit, il y a loin de la coupe aux lèvres. Et chacun voit midi à sa porte, non ?
Amicalement,
Yvonnic